Pr Jean-Luc Puel, Président de l’association JNA, Directeur de recherche Inserm Montpellier
Si demain on développe de nouvelles thérapies, il y a intérêt à ce qu'elles fassent mieux que des aides auditives ou implants cochléaires.
Je ne vais pas redévelopper intégralement la physiologie de l'audition. L'oreille interne est dans le creux de la mastoïde, c'est une cochlée observée en microscopie. Elle est dotée de très belles cellules ciliées avec de beaux cils. Une belle architecture. Pour vous montrer ce qu'est une structure hyperfragile, c'est des cils vus à très fort grossissement qui sont attachés par de fins filaments. Vous vous doutez bien que quand vous vous exposez au bruit, ils sont si fragiles que vous aurez une surdité.
Autre chose à prendre en compte, notre oreille est dotée de peu de cellules : 15 000, c'est très peu. Dans l'œil, vous en avez 20 millions, dans le nez, elles repoussent. Ce n'est pas le cas dans l'oreille interne. Vous naissez avec des cellules, il y en a peu. L'espérance de vie est à 90 ans, au moins. C'est ça l'enjeu : vieillir avec des cellules ciliées.
Dans cette cochlée, les cellules sensorielles stimulent les fibres du nerf auditif et les neurones. Quand vous utilisez un implant cochléaire, vous stimulez ces mécanismes.
On a, quand même, un organe qui est relativement complexe et il serait idéal de pouvoir le réparer. Ce qui n’est pas simple comme challenge.
Pourquoi ? C'est parce que au cours du vieillissement, quand vous êtes exposé au bruit, vous avez commencé à perdre des cellules ciliées et c'est le moment où vous commencez à avoir une baisse de la compréhension. Vous ne vous dites pas : j'entends mal, mais je n’entends pas bien.
Au bout d'un moment vous êtes tellement gêné que vous allez consulter un médecin ORL qui va établir un diagnostic : surdité de perception. Il va, alors, vous proposer des aides auditives. Vous voyez bien que ces aides vous aident, moi je ne dis pas « prothèse ». Elles vous aident à mieux entendre mais elles ne remplacent en aucun cas l’oreille. Quand vous êtes dans le bruit, vous avez des difficultés énormes à comprendre les conversations parce que vous avez perdu les cellules ciliées qui favorisent la discrimination de la parole.
Lorsque vous n’avez plus du tout de cellules ciliées, vous devenez alors sourd profond. La seule solution que l’on va vous proposer, c'est la pause chirurgicale d'un implant cochléaire. On va introduire des électrodes, stimulateurs des fibres du nerf auditif. On peut faire ça que si vous avez encore des neurones et des fibres du nerf auditif fonctionnels.
Voilà le constat aujourd'hui.
Vers quoi allons-nous tendre à l'horizon 2025 ?
Nous allons développer des implants hybrides : qu'est-ce que c'est ?
Les implants hybrides vont, à la fois, coupler une stimulation électrique et une stimulation acoustique.
En fait, vous aurez toujours une aide auditive pour stimuler les reliquats auditifs et vous aurez un implant cochléaire pour restituer les fréquences aiguës.
Évidemment, de quoi on rêve ? On rêve d'appareiller les patients presbyacousiques qui perdent en fréquences aiguës et chez qui ils restent encore des fréquences graves.
Première difficulté. Quand vous posez un implant, acte chirurgical invasif, vous installez un corps étranger, qui s’accompagne d’un développement d'une fibrose dans l'oreille, c'est-à-dire une atteinte partielle des fibres du nerf auditif.
La deuxième difficulté à pallier : le simple fait de poser un implant peut endommager les reliquats auditifs, les restes auditifs. C'est-à-dire l’audition résiduelle.
Le troisième problème : l’implant ne va pas arrêter le phénomène progressif de la perte auditive.
Voilà les challenges à résoudre.
Alors, pourra-t-on dans l'avenir prévenir la fibrose cochléaire ?
Nous avons réalisé des manipulations. Nous avons testé l’utilisation d’une molécule, la dexaméthasone. On voudrait utiliser des corticoïdes pour prévenir l'inflammation et prévenir cette fibrose.
On l’a donc testée sur nos petits animaux. On a mesuré la fibrose dans les rampes. On a comparé l'effet de la dexaméthasone à un autre produit, l’aracytine. On l’utilise quand on pose des stents cardiaques pour prévenir la fibrose. Cette drogue a la propriété de bloquer la prolifération cellulaire.
Quand on réalise une dose-réponse, vous avez une efficacité de 50 % autour de 100 micromolaires avec la dexaméthasone et de 3 micro-molaires avec l’aracytine. Donc vous augmentez l’efficacité de 30 %. C'est juste ici un exemple. L'idée c'est de se dire que, dans l'avenir, on pourra peut-être coder des électrodes avec ces composés.
Peut-on prévenir le dommage ?
Est-ce qu'on peut, dans l'avenir, prévenir ce traumatisme d'insertion ?
Nous nous sommes intéressés aux traumatismes sonores qu'on connaissait bien. Nous avons démontré qu'après un traumatisme sonore, vous perdez des cellules ciliées, vous perdez des neurones et je ne vais pas vous embêter avec ça mais c'est pour vous montrer la difficulté liée au traumatisme sonore aigu. Nous avons passé des années – plus de 10 ans – à démonter les mécanismes pour comprendre la dégénérescence cellulaire.
Nous avons étudié les voies de signalisation, et leur étude nous ouvre des pistes thérapeutiques. Par exemple, l'utilisation d’une molécule l'antiapoptotique, qui prévient la mort cellulaire.
Nous avons expérimenté sur un animal. Dans une oreille, il avait une pompe qui délivrait cette molécule et dans l'autre rien. Voyez la perte occasionnée par ce son. Dans l'oreille traitée, on arrive à traiter presque à 100 % le traumatisme acoustique.
L'intérêt, c'est qu'on peut prévenir, mais on ne peut pas guérir. Le problème, il faut injecter cette drogue lorsque les cellules sont toujours existantes. Sinon elle ne sert plus à rien. Nous avons une fenêtre thérapeutique d'une journée.
On peut se poser la question : oui, vous êtes bien gentils, vous travaillez avec vos petites souris... Est-ce que cela est transposable à l'homme ?
La réponse est Oui. Nous avons réalisé une étude en Allemagne, à Berlin, pourquoi en Allemagne ?
Parce que les Allemands utilisent des pétards pour fêter la Saint-Sylvestre, ce qui crée des traumatismes sonores aigus. Les pouvoirs publics ont réalisé une campagne de sensibilisation pour dire aux gens : dès que vous avez un traumatisme sonore, allez consulter à l'hôpital. On leur proposait de leur injecter cette drogue à travers le tympan anesthésié.
Quand on regarde les courbes de récupération du traumatisme sonore, vous avez ici le placebo, on met de l'eau saline, voyez que la récupération est bien meilleure avec cette drogue que sans.
Maintenant, est-ce que... Là on parle de traumatisme sonore, est-ce que cette drogue est aussi efficace sur le traumatisme d'insertion de l'électrode ?
Là, ce sont des collègues américains qui ont réalisé l’expérience. Voyez ici, c'est les pertes auditives après insertion d'une électrode à diverse fréquence à 500, à 4 000, etc. Quand ils appliquent la drogue avant d'enfoncer l’électrode dans la cochlée, ils arrivent à prévenir ce traumatisme.
On peut mettre la drogue avant ou pendant la chirurgie.
Maintenant, pouvons-nous régénérer les terminaisons nerveuses ?
La réponse est Oui. Une équipe australienne a injecté des plasmides dans la cochlée. Ce sont des petits bouts d'ADN qui vont coder. L'intérêt de cette technique : la mise en marche de l'implant déclenche l'introduction de ces petits bouts d'ADN qui vont libérer des neurotrophines. C'est assez spectaculaire.
Est-ce qu'on peut aller plus loin ?
On a dit que c'était bien cet implant mais ça ne valait pas une oreille. Pourquoi ? Le résultat de la stimulation par l’implant est relativement grossier. L’implant va stimuler tout un tas de neurones, ce qui fait que finalement, ça ne marche pas très bien dans le bruit.
Est-ce qu'on peut améliorer cela ? C'est ce que je viens de vous dire sur les implants conventionnels. On est en train de penser, aujourd'hui, que pour améliorer cette discrimination fréquentielle et, notamment, pour augmenter le nombre d'électrodes, aussi bizarre que cela paraisse, on ne va plus utiliser une stimulation électrique mais une stimulation lumineuse. Pourquoi ? Parce qu'elle a un faisceau beaucoup plus fin. Avec cela, vous allez pouvoir augmenter le nombre d'électrodes de 20 à 200. Stimuler des neurones avec la lumière, c'est bien ! Sauf qu'il faut rendre les neurones sensibles à la lumière. Comment faire ? On utilise la thérapie génique. C'est-à-dire que l'on va s'arranger pour faire exprimer aux neurones des récepteurs qui codent. On utilise un petit virus qui va entrer dans l'oreille et qui va faire s'exprimer ces récepteurs sensibles à la lumière.
On réalise une cochlée-ostomie. On va inclure une diode à l'intérieur. C'est très expérimental ce que je vous développe. Et vous voyez qu'il y a une réponse, une stimulation optique très évidente.
Tout ça, c'est bien ! Pour obtenir un résultat, il est nécessaire que les neurones fonctionnent ! Si vous n'en avez pas, même la stimulation à la lumière ne marchera pas.
Peut-on faire en sorte d'avoir des neurones même s'il n'y en a plus ?
C'est une expérience de Rivolta qui a utilisé des cellules souches embryonnaires qui ont la capacité de se transformer dans n'importe quel type cellulaire : des neurones, des cellules ciliées, etc. Il a implanté des cellules ici, en jaune. Elles vont aller connecter les cellules ciliées dans cette expérience.
Il a complètement détruit des neurones auditifs. 10 jours après la transplantation de ces cellules souches, il a récupéré des réponses auditives et a des neurones fonctionnels.
On a vu que l'on pouvait augmenter la résolution, que l'on pouvait remplacer les neurones quand il n'y en avait plus. Qu'en est-il des cellules ciliées quand il n'y en a plus ?
Plus j'avance dans ma présentation et plus nous nous orientons vers le futur hypothétique et la science-fiction avec sa part de vérité, je dirais.
Le problème de la repousse des cellules ciliées, c'est que l'on part du constat que chez les poissons, les amphibiens les oiseaux, quand les cellules ciliées sont détruites elles repoussent.
Chez les mammifères, elles ne repoussent pas.
Ce que l'on sait chez les oiseaux, c'est que quand on détruit les cellules ciliées, vous avez des progénitures de cellules souches qui vont générer une cellule fille, sensorielle et une cellule de soutien, sur laquelle repose la cellule sensorielle. L'idée que l'on a maintenant, c'est que lorsque vous avez perdu la cellule sensorielle c'est de reprogrammer des cellules de soutien restantes, pour qu'elles se divisent et refassent de nouvelles cellules ciliées. On va faire de la reprogrammation cellulaire.
Est-ce que cela est possible ? Il y a des résultats très discutés dans la littérature. On a reprogrammé des cellules de soutien et obtenu la présence de cellules ciliées qui ont un aspect grossier. Cela ressemble plus à une cellule de crapaud qu'à une cellule humaine.
Mais bon... Il y en a !
Ce sont des recherches en cours et j’en profite pour remercier l’équipe qui consacre son énergie à ces recherches.